Quand le volcan des mamelles se réveillera ?

L'omerta sénégalaise

Une chronique du journal le Monde datée du 17 février dernier, une interview du président de la république datée du 24 février (Journal Marianne du 24 février) et celle du rappeur Didier Awadi dans le même journal (25 février), nous décrivent la situation qui prévaut actuellement au Sénégal. Au-delà de ses trois récits diamétralement opposés se pose le problème de l’alternance démocratique et de ses conséquences. Le Sénégal sombre lentement mais sûrement dans une dérive marquée par l’incompétence de ses dirigeants politiques. Comment comprendre qu’à 86 ans qu’un chef d’État puisse gouverner un pays et prétendre à une probable réélection pour les prochaines présidentielles en 2012 ? It’s shoking, et le pire c’est d’avoir fait rentrer son fils dans le gouvernement.
En 1988, j’ai été de cette génération de sénégalais qui gavait sans mesures les paroles de M. Abdoulaye Wade et de rêver sur les jalons que l’opposant qu’il était posait afin d’emmener le Sénégal vers des lendemains meilleurs. C’était l’avènement du Sopi (changement en wolof) et nombre de jeunes de ma génération ont cru à l’alternance démocratique qui allait s’opérer avec le pape du Sopi. C’était notre guide au moment où le Sénégal sombrait dans une situation sociale désastreuse (chômage chronique, vie chère, année blanche, corruption, misère sociale, etc.). Aucune perspective à l’horizon et l’on se rappelle cette sommation du défunt juge Kéba Mbaye au lendemain de la démission du président Senghor, qui s’adressant à son successeur Abdou Diouf disait que les Sénégalais sont fatigués.
En 1988, le peuple était dans la rue et prêt à se sacrifier pour rompre avec la monotonie que le régime socialiste qui régnait depuis 30 ans. Notre guide et sauveur M. Wade nous appelait à la désobéissance civile lors de la commémoration de la fête nationale de l’indépendance du pays. Les quelques jeunes que nous étions avions répondu à cet appel pas le moins du monde républicain et comme prévu, cette manifestation fut sévèrement réprimée. Quand l’opposant qui symbolisait à nos yeux l’espoir fut emprisonné et traduit au tribunal, nous avons encore montré notre solidarité en défiant toutes les interdictions au péril même de notre avenir. Je n’oublierai jamais ce jour où nous nous étions levés tôt le matin pour pouvoir passer les barrages des policiers qui empêchaient la population d’aller vers le tribunal au Cap Manuel, puisque dès huit heures le matin, il était impossible de rallier la ville. Nous étions là à respirer les grenades lacrymogènes et les coups de « lif » (matraques des policiers), un jour de carême de surcroît, le fils du président n’était pas parmi nous ce jour-là, tant pis notre cause nous paraissait juste.
 
Depuis de la larve a coulé sous les ponts et pour peu qu’on n’y prête garde le volcan des mamelles risque de connaître une éruption sans précédent. Tous les ingrédients sont actuellement réunis pour que le Sénégal jadis connu pour sa stabilité sociale bascule vers l’irréparable. Pourquoi nous en sommes là ?
Au-delà de la responsabilité des dirigeants politiques qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts, il faut analyser la société sénégalaise dans son ensemble. D'abord, les valeurs individuelles qui pourraient symboliser la réussite dans la société sont détournées au profit d’une philosophie de vie basée sur le Bul faalé " T’occupes pas en langue wolof " Ces acteurs qui, comme le souligne Jean François Havard (2004, 64) – parlant de l’émergence de figures de réussites sénégalaises vers les années 80, à l’instar de ce mouvement qui renvoie aussi à des figures types de la réussite. Tyson le célèbre lutteur sénégalais symbolisait cette génération et de là est venue la dérive de la société sénégalaise. La réussite scolaire n’est plus la référence sociale, il suffit juste de se faire les muscles pour avoir une place dans cette société à la dérive. Ce Bul faalé a gagné toutes les couches de la société sénégalaise et même le phénomène de l’entrisme politique et de la multiplication des partis politiques sont à ranger dans cette même mouvance. Ceci a entraîné des conséquences comme la corruption à tous les niveaux avec la complicité des marabouts et des politiciens qui ne pensent qu’à tirer profit de l’électorat.
À Dakar après les combats de luttes, les agressions sont automatiques et l’État est pratiquement impuissant face à ces actes de vandalisme qui gangrènent la capitale sénégalaise. Imaginer un seul instant avec les coupures incessantes d’électricité qui durent depuis des années, la peur que les Sénégalais vivent. Aujourd’hui, les jeunes n’ont qu’une pensée en tête, s’enrichir par tous les moyens en risquant leurs vies dans les pirogues de fortune pour émigrer ou s’entraîner à la lutte le long des plages pour espérer gagner les contrats juteux que l’on propose aux lutteurs
Les Sénégalais ne meurent pas de faim, nous dit-on, faites un tour dans les moyennes familles sénégalaises de la capitale et vous verrez que peu de gens arrivent à assurer le repas quotidien et dans les villages n’en parlons pas la situation est déplorable.
Qu’est ce que les politiciens nous proposent ? Des routes…des édifices inutiles (statue de renaissance avec 18 millions d’euros), un Sénat pour récompenser les frustés et surtout caser des amis et autres complices de l’appareil gouvernemental, des députés inefficaces et une opposition inexistante . Grâce aux travaux de l’Anoci (agence pour l’organisation de la conférence islamique), Dakar est en train de se métamorphoser, jusqu’à présent les citoyens n’ont pas idée des dépenses réelles qui ont été engagées et c’est le fils du président qui assurait la gestion de cette agence. Le journaliste Abdou Latif Coulibaly nous décrit dans son livre les Contes et mécomptes, la réalité des faits « l’Anoci a été d’abord conçue pour faire prospérer un projet de succession monarchique. Le système de représentation politique privilégié depuis toujours dans notre pays a été singulièrement renforcé au cours de ces huit dernières années et les modalités de légitimation qu’il enduit, ont créé un système de gouvernance et de conduite des affaires de l’ État, qui s’inscrivent en droite ligne dans la théorie générale proposée par Max Weber qui décrit l’État patrimonial. Cet État patrimonial est le terreau de toutes les corruptions politiques, de la prévarication administrative et de la concussion. Elles se sont aggravées avec la venue au pouvoir des libéraux » (Coulibaly, 2009 : 203).
Les infrastructures qui émergent actuellement de ces travaux est en faite un leurre, du sapoudrage, les cannaux à ciel ouvert comme celui de la Gueule Tapée (quartier de Dakar près de la corniche et celui légendaire de la baie de Hann me semblent prioritaires pour la santé des populations.
L’ancien président Léopold Sédar Senghor n’a jamais cherché à nous imposer son fils Philippe Maguilène Senghor que beaucoup de Sénégalais ne connaissaient pas, de même que Abdou Diouf qui se sont toujours distingués par leurs discrétions. Ils pouvaient faire du Buul faalé et verser dans le népotisme, que Nenni !
Le Sénégal n’est pas le Togo, l’ère des fils héritiers est dépassée et nos marabouts ont une très grande responsabilité dans cette affaire au-delà de celle des politiciens qui ont en charge les destinées du pays.
 

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Version imprimable | Actualités | Le Lundi 08/03/2010 | 0 commentaires