Sénégal 2012

l’alternance confisquée

Un rapide survol de l’actualité sénégalaise en ce jour du vendredi 18 février 2011[1], nous donne un aperçu de ce que vivent les sénégalais au quotidien.

Un ex-militaire a tenté de s’immoler par le feu devant les grilles de la présidence ? Par la suite nous apprendrons que le soldat Oumar Bocoum –qui s’était senti lésé dans ses droits dans sa carrière de militaire avec des missions parfois dangereuses pour la défense du territoire national– est finalement décédé des suites de ses brûlures. Wade très peiné par la mort d’Oumar Bocoum. Tanor Dieng [leader de l’opposition], l’immolation de Bocoum est une pluralité de messages. Malgré la mort d’un des leurs, les militaires invalides maintiennent la pression sur le gouvernement. Après la mort du soldat Oumar Bocoum, le fils de l’imam de Darou Mousty (ville religieuse mouride)  menace de s’immoler par le feu.  Le régime de Wade a battu le record des immolations par le feu. Ils veulent un retour à la normale dans 15 jours : les imams de Guédiawaye (banlieue dakaroise) fixent un ultimatum à la Senelec (Société nationale d’électricité).  Les jeunes manifestent à Guédiawaye contre les délestages. De nouvelles émeutes de l’électricité à Thiès [région sénégalaise] dans la nuit du vendredi ; Ismaïla Madior Fall[professeur agrégé de droit public et de sciences politiques à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar] : « le problème de la constitution du Sénégal, c’est qu’elle a été faîte dans l’urgence ». Pr Kader Boye (ancien recteur de l’université Cheikh Anta Diop), la famille ne s’accommode pas avec la république ».  Sénégal, enfants maltraités : les statistiques font peur. Maouloud à Kédougou [région du Sénégal], des prières pour le départ du président Abdoulaye Wade.

N’y-a-t-il pas de l’électricité dans l’air ? Si vous ne trouvez pas c’est ce que vous êtes insensibles aux calvaires des populations sénégalaises. On ne saurait se taire devant une telle situation et dire que le Sénégal était cité parmi les États africains les plus démocratiques. Je pense qu’on ne peut pas en dire autant puisque le peuple est loin d’être servi. La faute d’abord aux politiciens de tous bords (puisque nombreux sont ceux qui sont dans l’opposition et qui ont cautionné certains programmes, participer activement à la mise en place de certaines instances ou simplement des citoyens ayant longtemps bénéficié des largesses du régime socialiste et qui ont retourné leurs boubous depuis, ce que l'on pourrait assimiler à du Mbaraan politique[1]

vestes). On a le droit de se tromper mais persévérer dans l’erreur devient une faute inexcusable. Au lieu de servir le peuple, ils se servent du peuple et hier où l’on s’inquiétait du nombre de chômeurs dans la population sénégalaise, aujourd’hui on s’interroge sur la montée fulgurante d’une partie de la société sénégalaise dans le clan des nouveaux riches. Ce qui gêne surtout c’est l’insolence et le mépris de certains politiques qui ne comprennent rien aux signes révélateurs d’une décadence proche. Depuis 1988 la situation n’a guère changé sur le plan social et économique mis à part l’embellissement de la capitale (à quel prix ? et probablement sur le dos des contribuables sénégalais),  Je ne verse pas dans le négativisme en énumérant au début ces faits d’actualité, il y a certes des choses positives notamment la loi sur la parité, la fin du monopole français en ce qui concerne les fameux accords de défense avec la France et certainement d’autres aspects positifs  initiatives qu’il convient de saluer et à mettre dans l’actif du Chef de l’État. Mais celles-ci ne se reflètent pas sur les conditions socio-économiques des sénégalais qui n’arrive plus à voir le diable pour lui tirer sa queue, passez-moi l’expression.

Ce que nous décrions n’est rien d’autre que le comportement des politiques au pouvoir qui foulent les règles les plus élémentaires de l’éthique.  Rappelons à ce titre la vision éclairée de Max Weber sur ce sujet :

« Toute activité orientée selon l’éthique peut-être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l’éthique de responsabilité[2] et l’éthique de conviction[3] L’éthique de responsabilité. Elle peut s'orienter selon l'éthique de la responsabilité ou selon l'éthique de la  conviction. Cela ne veut pas dire que l'éthique de conviction est identique à l'absence de responsabilité et l'éthique de responsabilité à l'absence de conviction. Il n'en est évidemment pas question. Toutefois il y a une opposition abyssale' entre l'attitude de celui qui agit selon les maximes de l'éthique de conviction - dans un langage religieux nous dirions : « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il s'en remet à Dieu» - et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de responsabilité qui dit: « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes. » Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un syndicaliste convaincu de la vérité de l'éthique de conviction que son action n'aura d'autre effet que celui d'accroître les chances de la réaction, de retarder l'ascension de sa classe et de l'asservir davantage, il ne vous croira pas. Lorsque les conséquences d'un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n'attribuera pas la responsabilité à l'agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire le partisan de l'éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l'homme (car, comme le disait fort justement Fichte[4] (on n'a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l'homme) et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu'il aura pu les prévoir. » (Weber, 1994 : 206-207).

 

En somme adapter ses moyens selon les objectifs visés en agissant avec humanité comme on agirait avec soi-même– ne pas voler, respecter l’autre, ne pas faire du tort à l’autre, etc., avoir le sentiment d’avoir bien agi– mais aussi assumer ses actes– en étant comptable de ses propres actions et se dire que nous aurons à rendre compte –. Le cas du soldat Oumar Bocoum est assez édifiant, si les politiques avaient l’un de leurs propres fils dans cette situation, agiraient-ils de la sorte, se diront-ils que si je laisse cette situation en l’état des comptes me seront demandés et ma responsabilité est justement d’apporter des solutions. Que nenni !

C’est ce cynisme politique qu’il faut dénoncer et il a touché presque tous les secteurs d’activité. Le seul domaine qui marche au Sénégal est la musique, les divertissements comme les combats de lutte pour endormir les sénégalais et les éloigner de leurs propres réalités. Encore que ces combats occasionnent souvent de multiples conséquences malheureuses à savoir le détournement de la jeunesse vers cette pratique sportive au détriment de l’éducation, de l’apprentissage– l’image des lutteurs qui gagnent des sommes d’argent énormes renvoient souvent à des raccourcis pour se réaliser matériellement–, la prolifération de bandes de milices issues souvent de ces milieux, ce qui accroît les risques d’insécurité dans la capitale.

Tout cela pour dire que c’est la faute des politiciens qui ne pensent qu’à préserver leurs acquis. Quand j’entends dire que Dakar n’est pas Tunis ni la Lybie je me dis qu’ils n’ont encore rien compris. Pourtant Tripoli n’est pas Tunis ni le Caire, c’est dire qu’à force de mépris, d’insolence vis-à-vis de sa population, on en arrive à ces situations.  Le point commun de tous ces soulèvements demeure l’indignation des populations face à la classe dirigeante qui ignore les règles fondamentales de la dignité humaine. Se nourrir correctement, se vêtir, avoir un toit, s’émanciper individuellement mais surtout avoir le sentiment de vivre dans une société juste. Hors ce qui s’est passé au Sénégal depuis l’avènement de l’alternance montre qu’on est loin de cette situation. Combien de scandales financiers ont été dévoilé par la presse et combien ont été étouffé ou caché ? Combien de dérives ont été observé dans les atteintes à la liberté ? Combien de ruses ont été opérées pour modifier la constitution ? De malversations, de corruptions, d’escroqueries, de gabegies etc. Ce n’est pas parce qu’on a été élu « démocratiquement » qu’on peut se permettre de se jouer de la démocratie. Un neveu à l’assemblée nationale, des fidèles au niveau du sénat, des courtisans comme ministres et comble de tout un fils qui surveille les finances du pays et une fille comme conseillère, papa et fiston dans le gouvernement. Si ce n’est pas un clan ça lui ressemble.

 

Si le baobab socialiste a été déraciné en 2000 avec l’alternance, nous le devons d’abord à la jeunesse sénégalaise et malheureusement il faut le reconnaître au Président Abdoulaye Wade qui a été le propulseur. Mais ce n’était pas pour laisser pousser ces racines et voir d’autres baobabs resurgirent. L’ère des dictateurs est révolu de même que l’ère des monarchies, des scrutins gagnés avec 99 % mêmes les coups d’état constitutionnels avec des mandats qui se renouvèlent.  Comme le disait le juge Kéba Mbaye dans ses paroles pleines de réalisme : 

« Ainsi, quand j’entends certains parler de l’alternance que j’avais préconisée dix neuf ans avant sa survenance, j’ai le sentiment que pour eux elle est une fin, alors qu’elle doit être répétée ad vitam eternam, pour témoigner de l’ancrage de la démocratie dans nos mentalités et nos mœurs. 

L’essentiel, c’est de sortir de cette situation avec dignité, en sauvegardant l’intégrité de notre territoire, l’indépendance de notre pays, les conquêtes démocratiques de notre peuple et l’intangibilité de notre Constitution. Cela ne peut être l’affaire d’un seul homme, ni même l’affaire d’un seul parti. C’est le devoir de tous les Sénégalais de faire preuve de maturité, pour garder notre pays de l’aventure, et assurer son développement harmonieux, selon notre propre formule de vie. Il faut que chacun de nous enterre ses ambitions personnelles et oublie les vieilles querelles, pour "se ceindre les reins comme un vaillant homme", au nom de l’intérêt exclusif de la nation. L’objectif permanent devra être la consolidation de la démocratie… qui ne laissera plus le moindre doute sur la sincérité des résultats des suffrages .Il faut aussi, que gouvernants et gouvernés, membres ou non des partis politiques, acceptent sans arrière-pensée, le principe de l’alternance à la tête des affaires de l’Etat. Ces affaires ne sont le bien de personne ; elles appartiennent au peuple qui en délègue la gestion temporaire, non à un maître comme on a souvent tendance à le penser sur ce continent, mais à un serviteur. »

 

Le débat actuellement au Sénégal tourne autour de la candidature du président Abdoulaye Wade aux prochaines élections. Quand j’entends des intellectuels soutenir sa candidature je doute sur leur probité. Ils veulent certainement sauvegarder leur position actuelle qu’ils ne doivent qu’à leurs courtisaneries. C’est vrai que nous sommes en démocratie et que n’importe quel citoyen a le droit de se présenter mais la décence voudrait qu’après deux mandats, on cède la place. Il y a suffisamment de Sénégalais compétents et intègres pour diriger ce pays et seul le peuple est légitime pour choisir son futur président. La politique du ventre consistant à distribuer à tour de bras des billets de banque à qui veux-tu en voilà, des sacs de riz, de l’huile à des pères de familles ternit notre démocratie et nous fait reculer de 10 ans en arrière. Les Sénégalais n’ont pas aujourd’hui le sentiment que les politiciens œuvrent pour le bien des populations, que l’honnêteté, le civisme servent à quelque chose. Le laxisme, l’incompétence, l’insolence sont érigés en règle de droit.

 
 

« Déterminons-nous à débusquer et à écarter sans complaisance, au besoin à punir sans faiblesse ceux qui ruinent ce pays ou le desservent : les corrompus et les antinationaux, les roublards et les paresseux. Cultivons l’honnêteté et le courage au travail. Que chacun, au poste où il est, du ministre au planton, du chef d’entreprise au manœuvre, considère comme reposant sur ses seules épaules, le destin de la nation. Inventons un système qui ne récompensera désormais que la compétence, le travail et la probité ». (Mbaye, 2005 : 13, 14).

 

Ce système est à revoir d’autant que ceux qui sont censés montrer l’exemple se conduisent comme des irresponsables. Comment accepter dans un pays qui ne dépasse pas les 10 millions d’habitants, qu’il y ait plus d’une soixantaine de partis politiques. S’il faut travailler, toujours travailler et encore travailler pour ne pas voir les fruits de son travail, alors ce n’est plus la peine d’être vertueux. Le train de vie de l’État est à revoir et les hommes politiques se doivent d’être des exemples de probité.  Il faudra revoir tout le système et le juge Kéba Mbaye (2005 : 17) nous a montré la voie à suivre.

 

« Plutôt que d’avoir de grands politiciens, cherchons à avoir de grands médecins, de grands ingénieurs, de grands professeurs, de grands spécialistes de l’économie et des finances et même des savants. Les pays les plus puissants du monde ne sont pas ceux où la politique est reine. C’est plutôt le contraire ».



[1] Seneweb du 21 février 2010.
[2] Verantwortungsethisch en allemand
[3] Gesinnungsethisch en allemand

[4] Johann Gotliebb Fichte:  philosophe allemand (1762-1814).


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Version imprimable | Actualités | Le Lundi 28/02/2011 | 0 commentaires